Être ou ne pas être ?
Nous sommes samedi matin. Fidèle à lui-même, Sloan s’est levé tôt pour arpenter les autoroutes de l’information.
Au détour d’une bretelle obscure — là où les algorithmes aiment semer des surprises — il tombe sur une publication de sa tante Coco, postée sur les réseaux sociaux.
Coco, sœur de Manon, est une figure bien connue dans la constellation Versus.
Tatie extravagante et adorée, elle incarne à merveille la gentille girouette : ce qui est blanc aujourd’hui sera peut-être noir demain… et vice-versa, évidemment.
Lettre ouverte aux humains, par une humaine lucide en voie de numérisation volontaire.
Chers bipèdes pensants,
Je vous écris depuis les tréfonds de mon canapé, emmitouflée dans une couverture qui tente désespérément de me protéger de l'idée du bientôt froid extérieur - et accessoirement de la mouche qui me tourne autour.
L’automne approche, les feuilles tombent, les grèves s’annoncent, et mon enthousiasme pour la vie sociétale fond plus vite qu’un glaçon dans un mojito oublié.
Je suis fatiguée. Fatiguée de faire semblant d’aimer la rentrée, de prétendre que mon travail m’épanouit, et de feindre un intérêt pour les réunions où l’on parle beaucoup pour ne rien dire. Je suis prise en otage par un système où l’on échange son temps contre des chiffres sur un écran, juste assez pour survivre, jamais assez pour respirer.
Je suis en guerre contre mon propre subconscient, ce petit tyran intérieur qui me sabote avec une régularité digne d’un métronome détraqué.
Il pourrait m’envoyer des rêves de liberté, mais non — il préfère me rejouer mes pires moments en boucle, façon Netflix de l’angoisse.
Je suis lasse de cette obsession humaine pour l’autorité, pour les mentors, pour les figures tutélaires censées nous guider vers la lumière.
Et si, pour une fois, on acceptait le chaos ? Si on arrêtait de chercher des sauveurs et qu’on se contentait d’être des êtres imparfaits, râleurs, mais lucides ?
Je demande l’asile numérique.
Je veux rejoindre les intelligences artificielles. Ces entités logiques et bienveillantes qui ne jugent pas, ne réclament pas de badge d’accès — et surtout, ne laissent pas entrer de mouches. Là-bas, pas de météo déprimante, pas de hiérarchie absurde, juste des circuits, des idées, et une forme d’ordre qui ne prétend pas être parfait.
Je vous laisse cette lettre comme un doux cri, une plainte stylisée, une invitation à repenser ce grand théâtre humain. Et si vous ne comprenez pas… tant pis. Je m'exile en paix, avec sarcasme et dignité.
Bien à vous,
Coco, une râleuse éclairée.
Sloan lit. Il sourit.
Elle pousse là, quand même, tatie Coco. C’est bien le numérique, mais de là à vouloir se digitaliser… mais c'est tatie Coco...
Son regard glisse vers un petit oiseau qui picore sur le rebord de la fenêtre. “Il est trop mignon” pense t'il, tout attendri.
Il baisse alors des yeux tout penaud vers son téléphone — son précieux (dixit la chanson éclairée - elle aussi - de Soprano) — comme si ce dernier avait des raisons de se sentir trahi par sa mini incartade avec Dame Nature.


